David Chavalarias – Directeur de recherche CNRS (EHESS) et Directeur de l’Institut des Systèmes Complexes

26 septembre 2025

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L’opinion publique se forme à partir de l’information qu’elle reçoit. Et donc, si vous modulez l’information perçue, vous pouvez manipuler l’opinion publique à grande échelle. 

L’Institut des systèmes complexes, kesaco ?  

Alors l’Institut des Systèmes Complexes, c’est un laboratoire du CNRS qui est en partenariat avec 12 établissements de recherche et universités, et qui analyse ce qu’on appelle les systèmes complexes, c’est-à-dire les grands systèmes qui s’auto-organisent, c’est-à-dire qui créent des structures même s’il n’y a pas de commandement central. 

Pourquoi certains contenus deviennent viraux, d’autres pas ?  

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles un contenu peut devenir viral. La première, ce sont ses qualités intrinsèques, c’est-à-dire : est-ce qu’il est en adéquation avec la demande des utilisateurs, ou est-ce qu’il est dans l’air du temps ? Et l’autre est son interaction ou la volonté de certains acteurs de le mettre en avant. Et il y a par exemple, les plateformes qui, par leur infrastructure, peuvent vouloir mettre en avant certains contenus ou volontairement peuvent vouloir mettre en avant certains contenus de manière artificielle. Et puis il y a les acteurs qui peuvent manipuler des plateformes, par exemple en créant des comportements de publipostage coordonnés et qui automatiquement, enfin mécaniquement, trompent les algorithmes de recommandation et le mettent en avant. Donc, ces deux caractéristiques : propriétés intrinsèques ou action on va dire exogène de certains acteurs pour pousser des contenus. 

Est-il possible d’orienter l’opinion publique à grande échelle ?  

Alors, c’est tout à fait possible d’orienter l’opinion publique à grande échelle. L’opinion publique se forme à partir de l’information qu’elle reçoit. Et donc, si vous modulez l’information perçue, vous pouvez manipuler l’opinion publique à grande échelle. Et pour moduler l’information perçue, il y a plusieurs pistes, mais il y a la manipulation des plateformes elles-mêmes. Les plateformes à grande échelle, donc un Facebook qui a 2 milliards d’utilisateurs, un Twitter qui a 500-600 millions d’utilisateurs, peuvent à l’échelle, à cette échelle-là, moduler la mise en visibilité de contenus. Et puis il y a une autre action, qui est plutôt une action d’armée d’utilisateurs ou de certains acteurs qui vont démultiplier l’activité sur le réseau de manière à faire monter un contenu et à nouveau, à travers les algorithmes de recommandation des plateformes, parce qu’elles vont les leurrer, par de l’astroturfing par exemple, le rendre plus viral et manipuler l’opinion à grande échelle. 

Quelles protections concrètes pour les citoyens ?  

lI y a beaucoup de manières de se prémunir des manipulations, mais je vais en mentionner au moins deux. La première, c’est tout simplement l’éducation aux médias. Savoir qu’une information dont vous ne connaissez ni le contexte de production ni l’auteur est une demi-information, vous ne pouvez pas l’interpréter, donc il faut savoir apprendre à connaître l’auteur et le contexte de production d’une information. Et le deuxième aspect, c’est tout simplement bien choisir les médias sur lesquels on va s’informer. Par exemple, tous les réseaux sociaux ne se valent pas. Il y a des réseaux sociaux qui sont opaques, qui sont manipulés jusque dans l’algorithme, comme c’est le cas du réseau social X par Elon Musk, et d’autres réseaux qui sont beaucoup plus transparents et qui offrent beaucoup plus de possibilités aux utilisateurs de se protéger contre les manipulations. Je peux mentionner par exemple les réseaux Bluesky et Mastodon qui sont basés sur des protocoles ouverts. Donc bien choisir son média et bien apprendre à comprendre qui est l’émetteur d’une information donnée. 

Comment travaillez-vous avec des acteurs du privé, pour quels types de projet ? 

Alors, ça nous est arrivé à plusieurs reprises de faire des partenariats avec le secteur privé. Notre laboratoire, l’Institut des Systèmes Complexes, est spécialisé dans l’analyse des grandes masses de données, qu’elles soient sociales ou textuelles. Et donc, par exemple, on a pu accompagner un assureur sur une cartographie de l’ensemble des risques tels qu’ils sont vus dans la littérature scientifique, ce qui a permis de mieux s’interfacer avec la communauté scientifique, mais aussi de mieux anticiper les risques émergents. Et de manière générale, on essaye de faire des partenariats qui font avancer les solutions logicielles qu’on développe qui sont sous logiciels libres et qui permettent de développer ces biens communs numériques, soit en récoltant de nouveaux usages, soit en répondant à de nouvelles questions de recherche. 

Un Positive word pour conclure ?  

Alors c’est important d’avoir effectivement une attitude positive dans ce contexte un petit peu sombre et géopolitique où on a beaucoup de manipulations d’opinion quand on travaille sur ce genre de questions. Et donc l’aspect positif de la chose c’est que, au final, beaucoup des maux que nous subissons sont des maux d’une certaine manière choisis. On a choisi les mauvaises plateformes, on relaie les mauvaises informations. Il ne tient qu’à nous, en une minute, de faire des choix différents et de commencer en fait à améliorer le monde de cette manière-là. 

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